De strictes obligations pèsent sur les professionnels de l’immobilier – agents immobiliers et administrateurs de biens notamment – ainsi que sur leurs partenaires, banquiers, assureurs par exemple. Dans le secteur immobilier, les agents immobiliers sont les plus impactés, 70% des sanctions2 de la Commission Nationale des Sanctions (CNS)3 étant prononcées à leur encontre. Dès lors, il est important de mieux cerner les enjeux de la LCB-FT et d’en comprendre les obligations afin d’éviter de sérieuses difficultés.
Blanchiment de capitaux, financement du terrorisme, KYC1… De quoi parle-t-on ?
La puissance publique cible depuis plusieurs années la délinquance en cherchant à la frapper au portefeuille. Pour cela, en application de la réglementation LCB-FT4, elle oblige les professionnels de l’immobilier à mettre en place des mesures et des contrôles afin d’identifier des situations pouvant favoriser la réalisation d’opérations de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Ces pratiques de surveillance sont regroupées sous le terme anglais de KYC, acronyme de “ Know Your Customer ”, pour “ connaître votre client ”. Elles consistent notamment pour ces professionnels à connaître le client avec qui une relation d’affaire est créée5 et à mieux comprendre le contexte de l’opération envisagée, et ce avant l’entrée en relation d’affaire et tout au long de cette dernière. Concrètement le professionnel doit obtenir un certain nombre d’informations et de documents concernant notamment :
- L’identité du client, et du bénéficiaire effectif de l’opération, le cas échéant
- L’opération (montant, objet de l’achat, mode de financement…)
- L’origine / destination des fonds
Les professionnels de l’immobilier sont soumis à cette réglementation pour leurs activités d’achat et de vente depuis 2009 et pour les activités locatives depuis 20162. Elle s’inscrit dans un contexte international et trouve à s’appliquer en France par le biais de la transposition de directives européennes.
En quoi l’immobilier est-il un secteur sensible ?
Le secteur de l’immobilier est jugé par les autorités comme particulièrement vulnérable. En effet, par leur nature même, les opérations immobilières sont fortement exposées aux risques de blanchiment de capitaux. Elles sont nombreuses (plus d’un million par an6), reposent sur des montants en jeu conséquents et sur des modes de financement variés, rendant plus difficile la détection des opérations suspicieuses ou illicites. Enfin, si les activités d’acquisition et de vente immobilières se retrouvent souvent dans des schémas de blanchiment, les locations sont quant à elles assez sensibles pour tout ce qui a trait à l’hébergement de personnes liées à des activités de terrorisme.
La difficulté vient donc de la variété des situations rencontrées par les agents immobiliers et de la banalité apparente des opérations et des clients à risque. Ainsi, si l’immobilier de luxe apparaît comme le vecteur privilégié de ces activités délictueuses, Tracfin7 (organisme de renseignement financier du Ministère de l’Action et des Comptes publics) souligne néanmoins que les opérations douteuses ne concernent pas que des montants élevés ou des opérations liées à l’immobilier de prestige. Sont souvent citées des opérations liées par exemple à des biens immobiliers dont la valeur ne dépasse pas les 300 000 euros.
Quelles obligations ? Pour qui ?
Tous les professionnels concernés8 sont dans l’obligation d’identifier les situations pouvant potentiellement présenter des risques de blanchiment de capitaux et/ou de financement de terrorisme (BC-FT) du fait de leurs activités et de les gérer au mieux. Concrètement, chacun doit réaliser la même approche, notamment :
- Réaliser une cartographie des risques (c’est-à-dire établir des catégories ou profils de clients et d’opérations) ;
- Mettre en place un dispositif axé sur les mesures de vigilance à mettre en œuvre (les obligations varient néanmoins selon qu’il s’agisse d’une relation occasionnelle ou habituelle)5 ;
- Conserver les preuves des vérifications effectuées (documents officiels, mais aussi recherches sur internet par exemple) ;
- Former le personnel sur le dispositif LCB-FT ;
- Contrôler l’efficacité du dispositif de contrôle, et le mettre régulièrement à jour ;
- Déclarer tout soupçon auprès de la cellule Tracfin7.
En marge des règles obligatoires, la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) et Tracfin7, ont publié des « Lignes Directrices » spécifiques aux acteurs de l’immobilier5 afin de les aider dans cette démarche.
Pour ne pas décourager et permettre une lutte efficace, elles précisent notamment que les mesures inhérentes à chaque professionnel doivent être adaptées à la taille de son entreprise et modulées selon le degré de risque pressenti du client.
Soupçon : de quoi s’agit-il ?
Dans ce cadre, il peut donc arriver que les professionnels de l’immobilier se retrouvent face à des sommes ou des opérations dont ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner9, que l’origine est illégale, qu’elles découlent d’une fraude fiscale ou ont pour but le financement du terrorisme.
Dans ce cas, et après une réflexion objective et méthodique du professionnel, le soupçon devra être déclaré. Cette déclaration sera faite auprès de Tracfin7 et sera strictement confidentielle. Tracfin7 peut d’ailleurs exercer un droit d’opposition et suspendre pendant dix jours au plus la réalisation d’une opération immobilière. Ce temps doit lui permettre de réaliser des vérifications complémentaires. Le client ne saura pas qui est à l’origine de ce contrôle.
Contrôles et sanctions : pour qui ? À quelle hauteur ?
Le respect de ces obligations par les professionnels de l’immobilier fait l’objet de contrôles tout au long de l’année. Ceux-ci sont conduits à tout moment par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), qui vérifie, auprès de chaque professionnel contrôlé, que le dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme est bien formalisé, actualisé et exhaustif.
En cas de manquement, la DGCCRF dresse un procès-verbal qui est alors transmis à la Commission Nationale des Sanctions (CNS)3. Cette dernière est la seule compétente pour déterminer la sanction administrative appropriée, allant de l’avertissement au retrait de la carte professionnelle ou de l’agrément, en passant par l’interdiction temporaire d’exercer. En outre, la loi lui donne la possibilité de prononcer des sanctions pécuniaires pouvant aller jusqu’à 5 millions d’euros.
On l’aura compris, les règles sont exigeantes. Elles varient d’une situation à l’autre et rendent ainsi indispensable pour chaque agent immobilier une parfaite compréhension de ses obligations. Outre les efforts déployés par les pouvoirs publics, les syndicats, groupements et associations professionnelles par exemple, ont mis à disposition de leurs membres des formations et supports pour les y aider.
Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, tous les acteurs sont responsables du respect de leur dispositif LCB-FT. Ainsi, les obligations des uns ne dispensent pas les autres de réaliser les contrôles obligatoires.